Textes écrits d’après le roman
« L’Enfant Océan »
de Jean-Claude Mourlevat
L’histoire : Cette histoire, qui nous rappelle celle du Petit Poucet, est celle de sept frères, tous jumeaux, sauf le dernier qui mènent une vie misérable dans une ferme. Un jour, Yann, le plus jeune, réveille ses frères et les pousse à quitter le domicile familial. Il faut fuir : leur père aurait menacé de les tuer. Irrésistiblement attirés vers l’Océan, les sept enfants marchent vers l’Ouest. De l’assistante sociale au routier qui les prend en stop, du gendarme alerté de leur disparition à la boulangère qui leur offre du pain, chacun nous raconte à sa façon un peu de leur incroyable épopée. La succession des témoignages des personnes que les enfants ont rencontrées nous permet de suivre leurs aventures. Cette histoire est celle d’une fugue mais aussi d’une quête qui permettra aux enfants de découvrir la solidarité fraternelle, l’amour de leurs parents… Le récit se termine sur des retrouvailles pleines d’espoir. |
Nous avons pris la place d’un marchand de gaufres, qui aurait pu être un personnage du livre ayant rencontré les enfants au cours de leur périple vers l’Océan. Voici nos témoignages.
Récits de : Coraline, Mathieu, Camille, Alice, Robin et Sélim
Récit de Coraline André Quarante-deux ans
Tout cela s’est passé un jeudi soir, à l’heure de la fermeture.
J’étais en train de ranger quand soudain, une petite troupe de garçons est arrivée vers mon camion. Je leur ai demandé ce qu’ils voulaient, mais ils ne m’ont pas répondu. Je les ai regardés de la tête aux pieds. Ils avaient tous des habits déchirés et ne portaient pas de chaussures. Je les ai comptés : « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. Sept, ils étaient sept ! » Pendant un moment, je me suis demandée si je n’avais pas rêvé. Ils étaient bien sept. Ils étaient très grands, sauf un qui était tout petit, et si maigres. Ils me faisaient pitié, alors je leur ai donné une gaufre chacun. Quand ils sont partis, je me suis demandée si je ne les avais pas déjà vus. Alors, j’ai ouvert mon journal afin d’y trouver plus d’amples informations. En effet, j’avais bien lu la veille un article sur eux. Je m’apprêtais à appeler la gendarmerie, mais c’était trop tard. Les enfants avaient déjà disparu.
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Récit de Mathieu Montaner Vingt-six ans
C’était un lundi, douze heures trente-six, pour être précis. J’étais en train de faire mon travail comme d’habitude, quand tout à coup, deux grands garçons se sont postés devant mon stand. Ils se ressemblaient beaucoup, ils étaient bizarrement habillés et timides. Ils étaient aussi très minces, on pouvait même dire qu’ils étaient maigres. J’ai presque eu de l’affection pour eux, mais pas trop quand même car je ne voulais pas m’attendrir. En effet, leur visage ne m’inspirait pas totalement confiance. Je leur ai demandé ce qu’ils voulaient mais pas de réponse. C’était vraiment étrange car on avait l’impression qu’ils voulaient me dire quelque chose, mais ils ne parlaient pas. Pendant un moment, on est restés à se regarder. Cela m’a énervé. Je me suis décidé. Je me suis retourné en leur disant : « Vous voulez des gaufres, c’est mon meilleur produit ! » Je n’ai pas eu le temps d’achever ma phrase qu’ils étaient déjà partis en en subtilisant quelques unes. Je n’ai pas cherché à les rattraper car ils avaient l’air tellement tristes et je ne voulais pas leur faire de peine.
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Récit de Camille Jauffret Vingt-cinq ans
C’était un soir, vers dix-neuf heures et il faisait très froid. J’étais dans le stand qui se trouvait juste devant la bijouterie et un client est arrivé et m’a demandé : « Deux gaufres, s’il vous plait. » Je les ai préparées et je lui ai données. Soudain, j’ai vu deux enfants jumeaux, de treize ans environ. Ils avaient chacun une veste bleu clair déchirée, un pantalon vert dont le bas était arraché et des chaussures avec des semelles abîmées. Ils me faisaient pitié. Ils se sont approchés et m’ont demandé timidement sept gaufres. Ils m’ont précisé à voix basse qu’ils n’avaient pas d’argent. J’ai réfléchi puis j’ai accepté mais je leur ai quand même demandé des informations sur leurs parents. Je leur ai donné les gaufres et ils sont partis sans même répondre à la question. J’étais très en colère et je les ai suivis sans bruit. Je suis arrivée dans une rue abandonnée et je me suis cachée derrière une poubelle. J’ai vu six enfants mangeant une gaufre. Cette scène m’a amenée à réfléchir. Mais pendant mes cinq minutes de rêverie, ils en ont profité pour s’enfuir.
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Récit d’Alice Rondreux Vingt-six ans
C’était un mercredi après-midi aux alentours de quatorze heures quarante-cinq. J’étais dans mon stand et je préparais des gaufres pour mes clients, qui ne venaient pas malgré l’odeur alléchante. Soudain, un petit garçon est passé devant moi et s’est arrêté. Je me suis demandée s’il attendait quelqu’un. Deux autres garçons sont arrivés vers lui. Ils étaient mal habillés. L’un d’entre eux m’a demandé s’il pouvait avoir des gaufres. Je lui ai demandé combien il en voulait. Alors, je lui en ai donné cinq. C’est à ce moment que j’ai remarqué que leurs vestes étaient très minces et que leurs pantalons étaient déchirés aux genoux. J’étais sur le point de pleurer car je voyais une profonde tristesse dans leur regard. On aurait pu croire qu’ils étaient battus par leurs parents. Je me sentais coupable de leur malheur. En rentrant chez moi, je pensais à eux. Cela me faisait de la peine. Je me demande ce qu’ils sont devenus…
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Récit de Robin de Chateauvieux Quarante et un ans
Toute cette histoire s’est passée un mardi après-midi. Il faisait chaud et c’était la première fois du mois qu’il y avait du soleil. J’étais dans mon stand, au coin de la rue lorsque j’ai vu sept enfants. Ils étaient dans un état déplorable : chemises déchirées, pantalons sales, maigres et ils n’avaient même plus de chaussures. Les deux plus grands se sont avancés. Ils n’étaient pas à un mètre de mon stand quand ils m’ont demandé s’ils pouvaient avoir des gaufres. Ils m’ont fait pitié. Je leur ai donné deux paquets de sept gaufres et une bouteille d’eau. Ils m’ont remercié et ils sont partis. Je suis allé m’asseoir et j’ai commencé à réfléchir. Je les ai regardés une dernière fois avant qu’ils ne disparaissent dans la rue voisine. Le facteur est passé et m’a donné mon journal que je reçois tous les deux jours. Je l’ai ouvert et j’ai lu un article sur sept enfants disparus. J’ai couru pour les rattraper. J’ai traversé la rue, j’ai regardé partout : à droite, à gauche ; il n’y avait rien. Je suis reparti en direction de mon stand, en marchant… et ai poursuivi ma vente de gaufres.
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Témoignage de Sélim Kasmi Vingt-quatre ans
Vous souvenez-vous de ce jour de neige, le 21 décembre dernier ? Tout le monde était dehors. Tous faisaient des bonhommes de neige, des batailles de boules de neige… et moi, des gaufres ! J’aime bien ce métier. Je reste assis à hurler : « Qui veut des gaufres croustillantes, moelleuses, à la confiture, au sucre, au Nutella ? » Ce jour-là, les ventes étaient bonnes lorsque sept enfants, qui se ressemblaient comme des gouttes d’eau (sauf un qui était plus petit), ont avancé vers mon stand. Ils étaient très mal habillés : tee-shirts déchirés, pantalons troués, chaussures ouvertes et lacets défaits. Ils se sont approchés et m’ont demandé très gentiment : « Pouvez-vous nous donner des gaufres ? -Bien sûr, leur ai-je dit. Et je leur en ai données deux à chacun. Après mon travail, je suis retourné chez moi. (J’habite un grand pavillon, orné de tableaux, de portraits et de vases de haute valeur. Avec mon travail de misère, vous vous demandez sûrement comment j’ai pu obtenir tout cela : c’est un héritage de mon père.) Revenons-en à notre histoire… Comme tous les samedis, je suis allé me promener dans le bois et je les ai vus… les sept ! Je leur ai demandé s’ils voulaient venir se réchauffer chez moi. Ils ont accepté et ils sont venus. Je les ai installés confortablement près de la cheminée. Je leur ai proposé de manger avec ma femme, mes enfants et moi. Ils ont accepté mon invitation. Ils étaient sept, exactement comme mes enfants. J’ai rassemblé côte à côte la table du salon et celle de la cuisine. On a mangé du couscous et de la glace. Ensuite, j’ai essayé de faire davantage connaissance avec eux. Ils n’étaient pas bavards. « Où habitez-vous ? », leur ai-je demandé. Pas de réponse. Je les ai installés devant la télévision avec mes enfants. Ils ont regardé un film puis sont allés se coucher. Le lendemain matin, ils étaient déjà partis. Je n’ai même pas eu le temps de leur demander s’ils voulaient que je les dépose quelque part. Je ne les ai jamais revus.
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